Devoir de vérité et justice pour Sakine CANSIZ, Fidan DOGAN et Leyla SAYLEMEZ

Le 12 janvier 2023, avec le Conseil Démocratique Kurde en France (CDKF), Frédéric MATHIEU a organisé une journée de colloque intitulé « Devoir de vérité et justice, 10 ans après le féminicide à Paris des militantes kurdes Sakine CANSIZ, Fidan DOGAN et Leyla SAYLEMEZ » à l’Assemblée nationale.

Retrouvez son intervention introductive ci-dessous.

Bonjour à toutes et à tous.

Avant de commencer et de vous remercier de votre présence, simplement vous préciser qu’il y a quelques députés dans la salle. Je suis Frédéric Mathieu, député élu sur la première circonscription d’Ille-et-Vilaine.

J’ai vu mes camarades Danielle Simonnet, Emmanuel Fernandes, Pascale Martin. Je n’en vois pas d’autres. Si toutefois vous voyez un député courir et sortir rapidement, ne vous inquiétez pas. Non pas que la réunion ne lui plairait pas, mais nous sommes aujourd’hui en niche, en niche parlementaire du RN. Et si jamais il faut filer un coup de main pour des votes contre nos amis néofascistes, eh bien certains députés devront courir, accomplir le devoir pour lequel ils ont été élus. Pardonnez les d’avance, je suis sûr qu’ils reviendront une fois le devoir accompli.

J’aimerais en profiter aussi pour avoir une pensée pour André Métayer, mon camarade André Métayer, qui est le président fondateur des Amitiés Kurdes de Bretagne et qui n’a pas pu venir malheureusement aujourd’hui. Il est la première personne qui m’a conté, en long, en large et en travers, en tant que grand connaisseur de la question, ce qui est l’histoire du peuple kurde et singulièrement son histoire contemporaine avec les persécutions dont il est l’objet. Donc, j’ai une pensée pour André qui n’a pas pu venir aujourd’hui.

Mesdames et messieurs, chers amis, chers camarades, bienvenue donc à l’Assemblée nationale dans le cadre de ce colloque coorganisé avec le Conseil Démocratique Kurde en France, que je remercie chaleureusement pour son investissement dans l’organisation de ce colloque.

« Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur le territoire de la République. La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit international public. Elle n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. »

C’est en ces termes qu’au lendemain de la victoire contre le nazisme, la Constitution de la République française fixe la ligne de conduite qui devrait être la nôtre à l’égard des peuples, de tous les peuples dotés ou non d’États, à l’égard également de toutes celles et tous ceux qui se battent pour que vive la liberté. Si ces termes étaient scrupuleusement respectés — ayons le courage de nous le dire — nous ne serions pas là à l’Assemblée nationale à cette heure. En effet, il y a dix ans, Sakine, Fidan et Leyla étaient assassinées à Paris à l’instigation, nous le savons désormais, des services secrets turcs, alors que dans les premières semaines, une fausse piste était lancée. L’enquête s’est trouvée rapidement et considérablement ralentie et tronquée par la couverture du secret défense, comme vous le savez, d’affaires de droit commun.

Nous sommes donc passés d’une affaire d’État à État et à un marchandage au terme duquel les commanditaires sont laissés à leur confort et à leur tranquillité. Sakine, Fidan et Leyla sont justement de celles là même désignées par notre Constitution de la République française qui avait décidé d’employer leur action en faveur de la liberté et qui ont été précisément persécutées en raison de cela.

La République leur doit donc vérité et justice. La République également, si elle est fidèle à elle même et à ses principes, se doit aussi à elle-même cette vérité et cette justice. En effet, en refusant la levée du secret défense sur ces assassinats politiques, la République se parjure au terme de sa propre Constitution, car elle emploie sa force, celle en l’occurrence de l’inertie du secret défense, contre la liberté d’un peuple, en l’occurrence le peuple kurde.

Me Antoine COMTE montrant un document du dossier, soumis au secret défense. Aucune information utile n'est accessible à la justice.

Je l’affirme solennellement dans cette enceinte de l’Assemblée nationale : le secret défense doit être levé sur les événements, les circonstances et les acteurs qui ont conduit au triple assassinat de 2013. Avancer sur la question du secret défense permettra également, je l’espère, d’avancer sur la manifestation de la vérité dans le cadre de l’attentat du 23 décembre. Ce sera œuvre encore une fois de justice si ce dernier combat de Sakine, Fidan et Leyla, par de nombreuses organisations et individus, mène le plus rapidement et le plus complètement possible à la manifestation de la vérité s’agissant de l’assassinat d’Emine Kara, Mir Perwez et Abdulrahman Kizil. Puissions nous ne pas nous retrouver ici dans dix ans pour dresser le même constat. Puissions nous permettre, à dix ans d’écart, que ces six militantes et militants, maillons d’une même chaîne de lutte commune, puissent se retrouver dans la vérité et la justice.

Les participantes et participants de cette journée le savent bien, mais il me paraît important de le dire à celles et ceux qui s’intéresseront à nos travaux : notre rencontre de ce jour n’est pas une commémoration, elle est un acte de combat. Ce combat, nous le devons à Sakine, Fidan et Leyla, à leurs proches et à leurs camarades, mais surtout à leur engagement qui les a menés vers le sacrifice suprême, ce combat pour que justice puisse être enfin rendu aussi.

Formons le vœu que nos travaux nous mènent vers un plan d’action qui nous permettra chacune et chacun à sa tâche, parlementaires, avocats, journalistes, militantes et militants, citoyens et citoyennes engagés, d’arracher des pans de cette vérité aujourd’hui refusée par le secret défense. Avant de laisser la parole à mon camarade et ami Jean-Christophe Sellin, je veux encore remercier chaleureusement le CDKF pour l’organisation de ce colloque et saluer fraternellement l’ensemble des participantes et participants.

Et puisque nous sommes ici dans la salle Victor Hugo, et par la même un peu placés sous son auspice, permettez moi de finir avec un vers du recueil de poèmes de intitulé Les Contemplations et qui me paraît décrire la démarche qui est la nôtre aujourd’hui :

« Que le mal détruise ou bâtisse,

rampe ou soit roi,

tu sais bien que j’irai justice,

j’irai vers toi. »